lundi 12 août 2013

VINGT FOIS SUR LE MÉTIER, REMETTEZ VOTRE OUVRAGE

On demandait à un montagnard des Pyrénées combien de temps il fallait pour gravir un des plus hauts sommets de la chaîne. Il répondit : "Huit heures, si vous vous pressez ; six heures, si vous ne vous pressez pas."

Faisons l'application de cette parole aux choses de la vie.

Vous tous qui courez anxieux et haletants vers l'objet de vos rêves, qui caressez l'espoir d'un succès rapide et prochain, qui voyez se dresser devant vous, au lointain, chimère ou réalité, le but suprême de vos efforts, écoutez la parole du sage : "Hâtez-vous lentement." Vous vous précipitez sans avoir d'abord calculé votre force de résistance, sans avoir pesé vos ressources, sans avoir tout disposé, tout prévu : il vous faudra bientôt vous arrêter sur la montée abrupte pour reprendre haleine, revenir sur vos pas pour compléter ou renouveler votre bagage. Vous vous fatiguez en démarches inutiles et, pour avoir trop accéléré vos mouvements ou pour les avoir eux désordonnés et incohérents, vous voilà ramenés en arrière, obligés de tout recommencer, si vous voulez arriver. Vous ressemblez au voyageur imprudent qui veut gravir la montagne et croit en atteindre la cime avant la nuit et qui, ayant gaspillé ses forces et ses provisions dès les premières heures de sa course, se laisse tomber épuisé sur le chemin et perd tout espoir d'atteindre le but.

Que n'a-t-il suivi, ce voyageur, le sage conseil du montagnard qu'il questionna le matin, à l'heure où il était encore tout frais et dispos, sur le temps qu'il fallait pour arriver au sommet ? "Huit heures, lui avait répondu le rustaud, si vous vous pressez ; six heures, si vous ne vous pressez pas." Notre homme ne se doutait certainement pas que, par ces mots, il esquissait toute la philosophie de la vie, qu'il fixait la règle absolue de tout travail et la condition de tout succès. Toute la conduite de l'homme est, en effet, en la dépendance de cet esprit d'ordre et de méthode qui fait la science, qui prépare les belles œuvres  qui amène le progrès et rend possibles tous les perfectionnements.
Ne vous pressez pas, parents trop impatients de voir vos enfants couronnés, applaudis, flattés ; si vous demandez trop à leur puissance de travail, vous allez compromettre les forces vives de leur esprit et en retarder le complet épanouissement. 

- Hâtez-vous lentement, écoliers étourdis, qui perdez d'abord les meilleures heures de votre journée, et bientôt les meilleures années de votre vie, en émiettant vos forces ou en les dispersant sur mille objets divers, au lieu de les concentrer sur un dessein nettement déterminé.
Écrivains  artistes, qui voulez réaliser l'idéal entrevu, prenez votre temps, ayez un égal souci de l'ensemble et du détail, et ne laissez rien d'ébauché, rien d'inachevé derrière vous : le meilleur de votre vie se passerait en retouches, et vous n'auriez que déceptions. 

- Vous mettez trop de hâte à vous décider, trop de fougue à poursuivre vos projets, trop de vivacité à en escompter les résultats, trop de promptitude à engager votre conscience et votre honneur, hommes qui avez en mains les intérêts les plus graves, qui avez à résoudre les plus hauts et les plus délicats problèmes de la vie privée ou publique. Vous manquez de pondération, de mesure, de sang-froid et, par l'impatience que vous avez d'aboutir, vous n'élevez rien de définitif, rien de durable : votre activité n'est qu'un incessant retour vers vos premiers essais. 

- Penseurs, intellectuels, qui tendez aux conclusions certaines et irrévocables, allez avec mille précautions à travers les écueils de vos doctrines, méfiez-vous de vos propres sophismes et ne cédez jamais à l'attrait d'une vérité facile, le plus souvent décevante et sans portée ; vous auriez à tisser et retisser sans cesse la trame de vos pensées, sans issue possible.
A tous, tant que nous sommes, petits ou grands, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, la sagesse dit : "Avance sans précipitation, travaille sans hâte" ; mais elle nous dit aussi : "Ne t'arrête pas un instant." Elle dit vrai et c'est notre cause qu'elle défend. Quoi que nous fassions pour la remplir, la vie poursuit son cours rapide et toujours égal. Où est l'insensé qui la regarderait passer insouciant et distrait ? Le montagnard a raison : le sommet à atteindre se dessine largement devant nous ; marchons-y sans hésitation et sans faiblesse et sans nous attarder aux choses qui ne méritent pas d'attirer notre attention.

"Paris ne s'est pas fait en un jour."

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