lundi 4 mars 2013

MOLIÈRE DRAMATURGE ET HOMME DE COMÉDIES

Pourquoi Molière, dans l'Avare, a-t-il fait Harpagon amoureux d'une fille pauvre ? Comment a-t-il rendu cet amour vraisemblable ? Quel parti en a-t-il tiré ?



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Il est dans les habitudes de Molière de donner à ses personnages une passion qui semble en contradiction avec le caractère ; il les rend ainsi plus vivants et plus comiques : Alceste, Tartuffe... et aussi Harpagon. Frédéric Schlegel crie à l'invraisemblance : il observe, avec raison, d'ailleurs, que l'avarice est un bon préservatif contre les autres passions. On aurait tort cependant de condammer Molière. Il est facile de montrer :

I. Les raisons pour lesquelles il a fait Harpagon amoureux.
1. Cela lui permet d'individualiser son personnage, de le rendre plus vivant, plus complexe. Harpagon est le type de l'avare, il semble incarner toutes les variétés de ce vice, mais ce n'est pas une abstraction, n'importe quel avare : il a une certaine situation sociale, une famille, un train de maison, des enfants à pourvoir... enfin il est amoureux, et d'une fille pauvre. Et ce trait, surtout, le distingue des autres avares.
2. Il en devient aussi plus amusant. Le comique naît d'un contraste, d'une disconvenance. Son avarice aux prises avec l'amour en paraîtra plus laide et plus ridicule. Sa manière de faire sa cour (III, 9), ses largesses, que Cléante fait en son nom, (III, 12), le repas (III, 5).

II. Les moyens qu'il emploie pour rendre cet amour vraisemblable.
1. D'abord cet amour est assez superficiel. Il aime plus encore l'argent. Contrairement au mot de Pascal : "Un avaricieux qui aime devient libéral", il reste tout aussi ladre et, quand sa cassette est en danger, il ne pense plus à Mariane qu'il laisse volontiers à son fils.
2. Et puis son avarice y trouve encore son compte. Il veut que la mère se saigne pour une pareille occasion, il calcule les économies qu'elle lui fera faire (II, 6).

III. Le parti qu'il en a tiré.
1. Il a multiplié les contrastes et les traits plaisants. Harpagon veut marier sa fille à un riche vieillard qui l'épousera sans dot, et lui épouse une fille pauvre (I, 5 et 6). Supposons-le amoureux d'une riche veuve, il n'y a plus rien d'amusant.
2. Il a corsé l'action et augmenté le comique et l'odieux en faisant de Cléante le rival de son père. (Cf. les compliments de Cléante à Mariane (III, 11) et la scène du stratagème (IV, 3).)
3. Enfin, après le vol de la cassette, il imagine les quiproquos les plus drôles sur Elise et la cassette (V, 3).

Jamais Molière n'a imité de si près que dans l'Avare. C'est l'amour d'Harpagon pour une jeune fille pauvre qui lui a permis surtout de faire d'une comédie très amusante, mais sans grande portée, l'Aululaire de Plaute, dont il a presque traduit mot pour mot des scènes entières, sinon un drame poignant, malgré certains traits cruels, au moins une comédie de caractère profonde et vraie, d'une grande signification humaine et sociale.

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Comment se fait-il que M. Jourdain soit ridicule alors qu'il manifeste un désir si légitime, semble-t-il, de s'instruire et s'élever au-dessus de sa condition ?

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On a souvent reproché à Molière de se moquer des choses les plus respectables : mariage, religion, etc. On rit d'Alceste qui est un honnête homme. Et M. Jourdain, qui est si grotesque, ne manifeste-t-il pas, après tout, un désir bien légitime de s'instruire et de s'élever au-dessus de sa condition ?

I. Rien de plus louable, en soi, que ce désir.
Exemples : l'ouvrier... le bourgeois, etc. L'ambition n'est un vice que quand elle est mal dirigée et se sert de moyens inavouables. On a le droit de vouloir s'élever soi-même et donner à ses enfants une situation plus brillante. Mais il faut le faire par son mérite personnel, son travail, ne pas brusquer les étapes, mesurer ses forces et ne pas renouveler l'aventure de la grenouille.

II. Est-ce bien ce que veut M. Jourdain ?
En aucune façon.
1. Il commence par rougir de ses parents, de sa femme, de sa condition, ce qui est le propre d'un sot.
2. Il n'a pas vraiment le désir de s'instruire. S'il fait venir chez lui pêle-mêle des maîtres de philosophie, d'escrime, de musique, c'est uniquement parce que cela lui semble de bon ton, comme d'avoir des fleurs "en enbas" sur son habit.
3. Il ne désire pas s'élever au-dessus de sa condition par sa valeur personnelle, mais paraître ce qu'il n'est pas, il croit que l'argent suplée à la naissance et au mérite, comme il s'imagine que l'escrime apprend à tuer son adversaire, sans avoir de coeur.

III. Et c'est pourquoi il est ridicule.
Il l'est partout et toujours, quoi qu'il fasse ou quoi qu'il dise, parce que toutes ses paroles et tous ses gestes respirent la suffisance, la sottise, la vanité la plus puérile, et qu'il se laisse berner et piller par des gens qui exploitent sa manie.
1. Les professeurs ;
2. Son tailleur ;
3. Dorante.

"Quel est le plus blâmable d'un bourgeois sans esprit et vain, qui fait sottement le gentilhomme, ou du gentilhomme fripon qui le trompe ?" dit Jean-Jacques Rousseau. La question n'est pas là, et l'indignation de Jean-Jacques porte à faux. Les coquins qui flattent la manie de M. Jourdain ne nous sont pas donnés comme d'honnêtes gens. Molière nous montre à quoi on s'expose en singeant de plus élevés que soi : M. Jourdain n'a que ce qu'il mérite, et la leçon est toujours actuelle.

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