lundi 9 septembre 2013

La guitare : charmes et sortilèges

Impossible de la faire taire, 
Elle pleure, monotone, 
Comme pleure le vent sur la neige, 
Elle pleure pour des choses lointaines..."
(Federico Garcia Lorca)

Depuis quelque temps, à la faveur d'une certaine mode et d'un certain snobisme, la guitare est à l'honneur. C'est un instrument qui a ses lettres de noblesse, qui possède une histoire fort ancienne. Taquinée par des princes et des rois, chérie par Berlioz, qui lui a consacré un chapitre dans son Traité d'Orchestration, et qui en jouait fort bien, elle est maintenant répandue, grâce à d'excellents chanteurs guitaristes, tels : Georges Brassens, Jacques Douai, Henri Salvador, Jean-Louis Aubert, Francis Cabrel et d'autres.
Malheureusement, cet instrument, qui fut un admirable appareil polyphonique, est souvent devenu un simple instrument rythmique, que l'on gratte en cadence en utilisant quelques accords, toujours les mêmes, appris grâce à quelques "grilles", qui indiquent seulement la position des doigts. Il faut donc persuader ceux qui veulent bien apprendre la guitare d'abandonner le médiator, ce petit onglet qui pince les cordes, pour jouer avec les doigts, comme le font les guitaristes classiques et flamencos. Il faut, bien sûr, faire l'effort d'apprendre le solfège, mais cet effort est bien minime, puisque l'instrument s'écrit en clé de sol, la plus usitée. Quelles satisfactions on tire de cet apprentissage ! 
La guitare est un instrument populaire, maintenant, au même titre que l'accordéon ; mais il faut veiller à ce que, comme lui, elle ne se dégrade pas, comme dans cet emploi subalterne de percussion dans les orchestres de variété. C'est un instrument intime et doux, qui se suffit à lui-même, et qui peut accompagner un chant, autrement qu'en plaquant des accords ; sa technique est très variée ; son jeu contrapuntique aisé.
Il existe à Paris, au 11 passage Moulinet, dans le 13e arrondissement, une Académie de Guitare, où, chaque année, de nouveaux guitaristes viennent étudier ce merveilleux instrument. J'y ai rencontré, lors d'une de mes visites à ce sanctuaire un amoureux de l'instrument et un lecteur de la revue "Guitare Classique". Au cours de notre dernier échange, il m'a donné des éclaircissements sur le genre d'instrument et l'école à adopter.
- Il y a 50 ans, certains ne voyaient, dans l'engouement pour la guitare, qu'une mode passagère. Aujourd'hui, beaucoup s'accordent à reconnaître que cet instrument, judicieusement utilisé, a son rôle à jouer dans les loisirs et la culture populaires.

EVOLUTION DE LA GUITARE AU COURS DES SIÈCLES 

- Est-ce que la guitare nous vient du luth ?
- C'est, en effet, la descendante directe du luth de la Renaissance, ainsi que la vihuela du Siècle d'Or ibérique ; mais elle n'est pas, comme le luth, utilisable seulement pour faire revivre quelques pages du passé ; ses ressources harmoniques et polyphoniques, sont incomparable variété de timbre, son répertoire en font un instrument actuel, qui n'a pas cessé d'être pratiqué au cours des siècles, et dont les sonorités trouvent parfaitement place au XXIe siècle.
- Pourriez-vous faire, pour nos lecteurs, un petit historique de la guitare ? 
- Une opinion générale veut que la guitare, celle que nous connaissons aujourd'hui, soit née en Espagne. Il nous suffit de remonter le cours des âges pour détruire cette croyance. Il existe, au Musée de Leyde, un bas-relief, tiré de la tombe du Roi de Thèbes, qui représente un instrument dont les incurvations extérieures ressemblent de très près à celles de la guitare moderne. Ainsi donc, trente-sept siècles avant Jésus-Christ, la guitare était née. Elle portait, en ce temps, le nom de Kithara, consonance qui a à peine varié de nos jours dans n'importe quel pays d'Europe et d'Amérique.

Un tableau synoptique nous montre que la Kithara est aussi l'aïeule de la cithare, de la vihuela, du luth et, beaucoup plus tard, du violon et de ses dérivés. C'est vers le XVIIe siècle que l'Espagne commença à admettre un soutien instrumental dans son répertoire populaire. La guitare fut naturellement l'élue. Les chants s'épurèrent pour laisser une plus large place à l'instrumentiste ; les rythmes devinrent plus rigoureux, les cadences plus vives, les danses folkloriques s'enrichirent alors par leurs expressions.
- Quand la forme de la guitare a-t-elle évolué au cours de ces siècles ?
- La forme de la guitare n'a pratiquement pas évolué depuis près de soixante siècles. C'est vers la finesse de timbre et de sonorité que les recherches des luthiers ont été de tout temps orientées. "Une guitare, disait un constructeur, est le rendez-vous de six forêts." Six essences de bois, en effet, composent cet instrument : sapin, acajou, ébène, palissandre, érable et cyprès. Tous ces bois sont minutieusement assemblés au 1/20e de mm dans la forme harmonieuse que nous lui connaissons. Ajoutez un sillet d'ivoire, des "mécaniques" métalliques et six cordes.
- Pourriez-vous nous éclairer sur la confusion du grand public en face de la guitare et de la guitare électrique ? 
- La guitare électrique est un instrument très agréable, qui assure un rythme incomparable aux orchestres de danse et apporte la note de douceur dans le relais des "choruses" ; mais avec laquelle on ne peut faire de la musique chez soi. Elle se joue avec un plectre, et son rôle consiste à accompagner l'orchestre par des accords, ou bien à jouer monodiquement la mélodie en se faisant accompagner par d'autres instruments. Quant à la guitare, la vraie, elle est montée avec des cordes de nylon et se joue avec tous les doigts de la main droite. Cela permet de réaliser des parties plus complètes, même dans le domaine le plus simple de la chanson, mais avec une sonorité naturelle dont la beauté subjugue tant d'adeptes : ainsi, beaucoup de ceux qui pensent ne réaliser que quelques accords finissent par jouer Bach et Albeniz.

J.-S. BACH, VIVALDI, ET ALBENIZ...

- Que pensez-vous de la guitare d'accompagnement, telle que la pratique la jeune génération de guitaristes ? 
- Il y a tout de même du progrès. On a compris que l'apprentissage empirique, celui qui consiste à dessiner des accords sur la touche de la guitare, ne rendait rien. Il y a 50 ans, beaucoup de gens pensaient que, pour accompagner une chansonnette, de simples accords grattés suffisaient. Aujourd'hui, on a besoin d'un accompagnement plus élargi dans le sens harmonique. On s'écarte heureusement de la routine, et l'on constate qu'un accompagnement musicalement conçu, avec des basses et des répliques, donc avec un toucher classique, peut mettre en valeur la moindre chanson et la sauver de la vulgarité. La guitare plaît. Il faut profiter de cet engouement pour développer de bonnes habitudes de technique et élever le niveau musical de ceux qui se sentent attirés par cet instrument.

L'INSTRUMENT DU GROUPE ET DE LA SOLITUDE

- Et dans le domaine de la grande musique, votre Ecole attire-t-elle beaucoup de jeunes ?
- Beaucoup de jeunes et aussi beaucoup d'adultes, car c'est, trop souvent, arrivé à l'âge adulte que le Français découvre la guitare ; et il regrette alors de n'avoir plus les loisirs suffisants pour cultiver sérieusement l'instrument de ses rêves. Nombreux sont ceux qui ont fait deux ou trois ans de piano ou de violon. Que leur en reste-t-il ? Ces magnifiques instruments ne procurent de satisfaction musicale qu'après de longues années d'étude. Pour les parents qui s'intéressent à la guitare et dirigent leurs enfants vers un professeur compétent, il y a toujours une solution et un résultat acquis, avantage des possibilités multiples de la guitare. Si leur espoir d'en faire un soliste est déçu, il reste à notre concertiste raté les ressources de la guitare sous ses aspects monodique et harmonique. La guitare est un des rares instruments qui peut assurer une détente agréable à tous les degrés et stades de l'étude : "C'est l'instrument idoine du groupe et de la solitude."
- Tout cela doit amener les jeunes à la bonne musique ; mais comment situez-vous le guitariste dans le contexte du mouvement musical actuel ? 
- Le guitariste, une fois en possession d'une solide culture musicale, doit s'intéresser au développement de la musique en général : chant choral, musique symphonique, opéra, etc. Il doit se comporter en véritable musicien, sans cela être exagérément puriste, aimer Bach et Debussy, etc., mais ne pas refuser d'accompagner joliment une chanson si elle en vaut la peine.
- Et vous pensez que la guitare peut servir aux éducateurs-musiciens ?
- C'est certainement l'instrument qui remplit toutes les conditions favorables, tant à chanter une mélodie qu'à l'accompagner. Son timbre est beau ; sa sonorité discrète, mais toujours perceptible, soutient et met la voix en valeur sans jamais l'étouffer. Dans le seul but de l'accompagnement ou de la mélodie, son apprentissage peut être facile et relativement rapide. Son exécution aisée permet de continuer à chanter en jouant pour mieux entraîner le groupe. Pour les vacances, les soirées, on dispose d'un instrument complet, facilement transportable et d'un prix d'achat assez modique.

La guitare, mise au service de la musique, peut et doit devenir l'amie et l'auxiliaire de l'éducateur. Quel que soit l'endroit - vacances, détente après le travail, entre amis - quel ne sera pas le prestige de celui qui, le soir, gracieusement penché sur son instrument, charmera son entourage par le sortilège de sa voix et de ses doigts agiles ! 

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