mercredi 16 janvier 2013
les pharisiens dans la rue
je vous regarde, je vous écoute. troupeau docile derrière vos pasteurs démasqués. vous bêlez votre leçon apprise par cœur comme les premiers de la classe ânonnent un poème qu'ils ne comprendront jamais. pancartes imprimées, slogans éprouvés, vous vous donnez le sentiment d'être contre, vous qui avez toujours été pour. pour l'ordre, pour la loi, pour la foi. sans jamais vous interroger davantage. sans oser critiquer. vous qui avez toujours été lisses, comme il faut, bien pensants et normatifs. qu'imaginez-vous que vous êtes? des penseurs? des modèles?
vos chefs vous autorisent ce combat séduisant aux formes atypiques, ce qui déjà vous exalte. vous vous agitez de l'exotisme de la situation, de cette mise en scène savante qui, bien que minuscules et médiocres, vous fait paraitre gigantesques et clairvoyants.
je vous regarde, tout excités que vous êtes de votre démarche, de votre force, de votre pouvoir. vos regards satisfaits me disent qui vous êtes vraiment. il y règne une joie indécente et coupable qui s'assume parce qu'elle se partage entre vous. elle vous sert de reconnaissance complice. la joie d'être du bon côté au bon moment. une joie si française, si facile, celle des versaillais ou des vichystes. de ceux qui se taisent toujours, même après Charonne, même après avoir vu pendant des mois les défilés de prisonniers nus dans les rues de Drancy. ceux qui, après, élèvent des monuments et y déposent fleurs et lacrimatoires. vos yeux ont cette jubilation qui se partage aux pieds des potences, coupable et triomphante. cette jouissance à se retrouver si nombreux alors que vous vous sentiez si seuls à penser autant de vilaines choses.
mais c'est pour ça que vous êtes là. pour faire la preuve qu'elles ne sont pas si vilaines ces choses. qu'elles sont mêmes des évidences, des banalités. c'est pour ça qu'ils vous ont mis là vos patrons, pour clamer bien haut et en nombre ce ramassis de fausses affirmations, de syllogismes anachroniques, de concepts bêtas, d'allégations hasardeuses, de mensonges avérés, avec la solide assurance des multitudes anonymes, du bon-sens, de l'empirisme personnel devenu commun sous l'effet de la foule. triviaux vous devenez orgueilleux.
je vous regarde, je m'aperçois que vous êtes toujours là avec votre peur qui veut empêcher l'autre de vivre, votre égoïsme irrationnel qui vous permet de croire que vous êtes exemplaires, qu'il n'y a d'autre vérité que la votre. d'autre humanité que celle qui vous sied. votre hypocrisie qui vous permet de simplifier, caricaturer, moquer, et par dessus tout vous procure cette douce satisfaction d'avoir tout compris et de pouvoir tout expliquer.
je regarde les couards que vous avez toujours été, si résolus dans les mains de vos maîtres, à l'abri de vos dogmes antédiluviens, invoquant des dieux que vous trahissez de bonne foi, des enfants que vous n'aimez pas, un Amour qui vous est étranger, un ordre social naturel qui n'existe pas, n'a jamais existé ailleurs que dans les fantasmes rétrogrades des obscurantistes de tout poil lorsqu'ils s'emploient à justifier l'ordre établi nécessaire à leurs intérêts immédiats.
je regarde et je me sens sali de ce que vous êtes, béats de haine, fielleux et jaloux. votre pusillanimité coercitive me désespère autant qu'elle m'interroge. comment pouvez-vous vivre dans votre univers en noir et blanc, bien et mal, beau et laid, mâle et femelle, ces duels réducteurs qui vont à l'infini s'acharner à la destruction de l'altérité?
je vois en vous une humanité désespérante que le néant devrait engloutir aussitôt. vos revendications de démocrates sont de fait le relais présent de la masse des arbitraires que répand depuis la nuit des temps un peuple de cul-terreux analphabètes.
voilà donc ce qu'à mes yeux vous représentez, la bêtise éternelle, normal que vous vous soyez retrouvé si nombreux.
..."Mais malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui versez la dîme de la menthe, de la rue et de tout ce qui pousse dans le jardin, et qui laissez de côté la justice et l'amour de Dieu. Malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui aimez les premiers sièges dans les synagogues et les salutations sur les places publiques. Malheureux, vous qui êtes comme ces tombes que rien ne signale et sur lesquelles on marche sans le savoir... Vous aussi légistes vous êtes malheureux, vous qui chargez les hommes de fardeaux accablants, et qui ne touchez pas vous mêmes d'un seul de vos doigts un seul de ces fardeaux. Malheureux vous qui bâtissez le tombeau des prophètes alors que ce sont vos pères qui les ont tués."... Luc.
dimanche 13 janvier 2013
Одеса
j’en connais ce que j’en ai lu, Isaac Babel évidemment, ou vu, Eisenstein…, l’escalier, Potiemkinskaya Lestnitsa depuis le film, bien sûr. l'Histoire, du Plessis duc de Richelieu ou la Grande Catherine…;ou l'histoire, les séjours du Tsar, en famille. bains de mer pour les hommes, nus, jeunes et vigoureux, les uniformes blancs, plus beaux que des smokings, envahissant la ville pour s’y gaver des plaisirs de l’été. photos jaunies, écaillées, l’aïeul y prend la pose, sur l'escalier encore, devant l'église, devant la mer exhibant une gourmandise, reliques domestiques, religieusement transmises de génération en génération, comme les Latins mâles le faisaient de leurs Lares.
l'hôtel, j'imagine que la direction applique toujours les directives esthétiques établies du temps de l'URSS à l'intention des étrangers. ça n'ébranlera pas le vieux communiste indulgent que je suis, mais à l'inverse Guillaume, en état de choc, examine cet ensemble qui intègre tous les travers du mauvais goût nouveaux-riches : rigueur extrême de la jeunesse... la réceptionniste fait du mieux qu'elle peut pour nous parler en français. c'est gentil. elle est gentille d'ailleurs, jusqu'à ce que je lui demande un seul lit... il semblerait que dès cet instant sa survie même est menacée, "chambre double, monsieur, chambre double s'il vous plaît...", c'est une supplique pas une exigence. elle est visiblement affligée, c'est vrai que le groom service a l'air tordu. j’acquiesce sans palabres pour les deux lits. nous découvrirons peu après que chacun peut contenir au moins trois personnes vindicatives. Guillaume se croit obligé de lui parler de la branche odessite de ma généalogie, visiblement la jeune fille ne comprend pas que, depuis la Révolution, j'ai déjà perdu mes racines ukrainiennes. dans son esprit la Révolution c'est 2005. 1917! tu parles!
l'hôtel, j'imagine que la direction applique toujours les directives esthétiques établies du temps de l'URSS à l'intention des étrangers. ça n'ébranlera pas le vieux communiste indulgent que je suis, mais à l'inverse Guillaume, en état de choc, examine cet ensemble qui intègre tous les travers du mauvais goût nouveaux-riches : rigueur extrême de la jeunesse... la réceptionniste fait du mieux qu'elle peut pour nous parler en français. c'est gentil. elle est gentille d'ailleurs, jusqu'à ce que je lui demande un seul lit... il semblerait que dès cet instant sa survie même est menacée, "chambre double, monsieur, chambre double s'il vous plaît...", c'est une supplique pas une exigence. elle est visiblement affligée, c'est vrai que le groom service a l'air tordu. j’acquiesce sans palabres pour les deux lits. nous découvrirons peu après que chacun peut contenir au moins trois personnes vindicatives. Guillaume se croit obligé de lui parler de la branche odessite de ma généalogie, visiblement la jeune fille ne comprend pas que, depuis la Révolution, j'ai déjà perdu mes racines ukrainiennes. dans son esprit la Révolution c'est 2005. 1917! tu parles!
après cet épisode on s'est éloigné de la ville en loups solitaires, avec cette idée curieuse de la voir autrement. des gravats, le sable, et une drôle de chaleur humide qui colle salement entre pull et peau. ça gratte, c'est désagréable. on escalade les restes de chantiers d’une cité invisible, incernable, in-construite, si on peut dire..., de là on ne voit que des signaux épars sur la mer, fixes ou clignotants, ils s'installent dans l'espace à mesure que le jour faiblit, ils disparaitront avec la nuit comme s’ils n’avaient jamais existé.
dans la foulée nous prenons la direction de la cathédrale, les bulbes dorés attirent mon orthodoxie immorale. le pont que nous empruntons enjambe un fleuve noir, dès les premiers pas on ne songe plus qu’à ceux qui se sont jetés, volontaires ou non, de son tablier lugubre, et si l’on parvient à s’extraire de leurs appels c’est pour entendre davantage s’entrechoquer les corps qui furent pendus sous ses arches de pierres. Staline me rentre dans la tête, les SS, les "Bienveillantes", Tchéka, Gestapo...et, en pack, le reste du cauchemar.
enfin sortis de là on marche comme des voleurs pistés, le souffle court après la piqûre de rappel historique. on sinue parmi les gens biens comme il faut, les néo démocrates du trottoir ou du métro. un groupe de fêtards costumés et braillards des deux sexes nous dépasse, nous bouscule sans égards, sans regard. minuit approche, chacun dans son rôle rejoint sa place.
dans la foulée nous prenons la direction de la cathédrale, les bulbes dorés attirent mon orthodoxie immorale. le pont que nous empruntons enjambe un fleuve noir, dès les premiers pas on ne songe plus qu’à ceux qui se sont jetés, volontaires ou non, de son tablier lugubre, et si l’on parvient à s’extraire de leurs appels c’est pour entendre davantage s’entrechoquer les corps qui furent pendus sous ses arches de pierres. Staline me rentre dans la tête, les SS, les "Bienveillantes", Tchéka, Gestapo...et, en pack, le reste du cauchemar.
enfin sortis de là on marche comme des voleurs pistés, le souffle court après la piqûre de rappel historique. on sinue parmi les gens biens comme il faut, les néo démocrates du trottoir ou du métro. un groupe de fêtards costumés et braillards des deux sexes nous dépasse, nous bouscule sans égards, sans regard. minuit approche, chacun dans son rôle rejoint sa place.
quel est ici, ou ailleurs, le sens de ce premier jour de l’année? de la rapidité, de la simplicité avec laquelle les choses se défont ? puis recommencent…, un leurre chronologique. Odessa, elle, est comme un banc vide placé devant la Mer Noire. son nonchaloir est celui des dépressifs, son humeur ressemble assez à celle des gares abandonnées en rase campagne. avec en sus quelques wagons rouillés, amputés de leurs meilleurs morceaux. on lit : "cité balnéaire","méditerranéenne", j'ai la certitude de traverser un décor, je suis persuadé que seules les façades sont entretenues, au-delà c'est tout pourri, j'en suis convaincu. paranoïa, amertume. j'éprouve la même chose chez moi en Corse, tout est faux, illusoire; mis en place pour d'autres yeux que ceux des locaux, seulement pour ceux qui viennent vérifier l'authenticité du monde, leur monde, sécuriser leur album interne, rassurer leur sens du beau, du bien, du bon.
l'après-midi à 14 heures, devant la gare, depuis Guillaume ne m'a plus rappelé de prendre contact avec "ma famille", aurais-je enfin réussi à lui faire intégrer que ça ne m'intéressait pas? sa jolie tête, à l'intérieur de laquelle cohabitent un fils-frère-cousin-oncle-beau-frère...etc sur x générations, le tout plus discipliné qu'affectueux d'ailleurs, semble enfin avoir admis ce fait. je vois bien qu'il ne comprend pas mon aversion, il me la concède alors qu'il ne peut pas la concevoir. c'est culturel.
2 janvier, promenade "hors des sentiers battus", nous traversons ce que nous pensons être une embouchure, une végétation alternée, entre la jungle et la rizière, entité qui fut soudain l’objet d’une pluie violente et non tropicale. Liman Kuyalnik, une lagune réputée pour ses bains de boue, une manifestation de la plénitude du mal en fait. je cherchais dans ma mémoire une introuvable correspondance au sentiment qui m’envahissait. marcher pesamment dans l’assourdissant vacarme de l’eau, dessus, dessous, comme des cris, ceux de l’arène qui cerne l’animal; et je me pris à penser qu’il me serait peut-être permis de mourir, ne fut-ce que par politesse… afin de ne pas trahir ma nature, mon humanité...même militaire sur les rives d'un Danube saisit par la glace je n'avais ressenti une telle lassitude. en fait j'ai horreur du contact des vêtements mouillés, une répulsion carrément monomaniaque.
l'après-midi à 14 heures, devant la gare, depuis Guillaume ne m'a plus rappelé de prendre contact avec "ma famille", aurais-je enfin réussi à lui faire intégrer que ça ne m'intéressait pas? sa jolie tête, à l'intérieur de laquelle cohabitent un fils-frère-cousin-oncle-beau-frère...etc sur x générations, le tout plus discipliné qu'affectueux d'ailleurs, semble enfin avoir admis ce fait. je vois bien qu'il ne comprend pas mon aversion, il me la concède alors qu'il ne peut pas la concevoir. c'est culturel.
2 janvier, promenade "hors des sentiers battus", nous traversons ce que nous pensons être une embouchure, une végétation alternée, entre la jungle et la rizière, entité qui fut soudain l’objet d’une pluie violente et non tropicale. Liman Kuyalnik, une lagune réputée pour ses bains de boue, une manifestation de la plénitude du mal en fait. je cherchais dans ma mémoire une introuvable correspondance au sentiment qui m’envahissait. marcher pesamment dans l’assourdissant vacarme de l’eau, dessus, dessous, comme des cris, ceux de l’arène qui cerne l’animal; et je me pris à penser qu’il me serait peut-être permis de mourir, ne fut-ce que par politesse… afin de ne pas trahir ma nature, mon humanité...même militaire sur les rives d'un Danube saisit par la glace je n'avais ressenti une telle lassitude. en fait j'ai horreur du contact des vêtements mouillés, une répulsion carrément monomaniaque.
Je cherchais le sens du jour de l’an… il doit se trouver dans cet étrange et assourdissant chaos, une invraisemblable matrice qui amorce sa remise en marche.
j'allais pour nous acheter des cigarettes quand j'ai croisé ma grand-mère. enfin une dame qui lui ressemblait trait pour trait, tellement que j'ai pas pu m'empêcher de lui sourire. échange, ce fut bref, j'ai voulu y croire et j'ai trouvé ça plutôt agréable. Yaya dans la tête, en fait de tabac je suis rentré dans la première église lui griller quelques cierges, je me signais comme une vieille devant une icône de Saint André qui se trouvait fort opportunément là. elle aurait été contente. elle s'appelait Andréa.
si j'avais raconté ça aussitôt à Guillaume nous serions parti illico rechercher la vieille dame...
les anciens dieux marquaient chaque passage, fut il chronologique ou routier, tous ont le même sens du franchissement, aller au-delà toujours, pour nous préparer au terminus. à l'incompréhensible révélation de leur absence, plus rien à franchir.
heureusement que parfois le temps fait des boucles.
j'allais pour nous acheter des cigarettes quand j'ai croisé ma grand-mère. enfin une dame qui lui ressemblait trait pour trait, tellement que j'ai pas pu m'empêcher de lui sourire. échange, ce fut bref, j'ai voulu y croire et j'ai trouvé ça plutôt agréable. Yaya dans la tête, en fait de tabac je suis rentré dans la première église lui griller quelques cierges, je me signais comme une vieille devant une icône de Saint André qui se trouvait fort opportunément là. elle aurait été contente. elle s'appelait Andréa.
si j'avais raconté ça aussitôt à Guillaume nous serions parti illico rechercher la vieille dame...
les anciens dieux marquaient chaque passage, fut il chronologique ou routier, tous ont le même sens du franchissement, aller au-delà toujours, pour nous préparer au terminus. à l'incompréhensible révélation de leur absence, plus rien à franchir.
heureusement que parfois le temps fait des boucles.
samedi 12 janvier 2013
HISTOIRE DES MUSÉES DE CIRE
Qui n'a pris le chemin du musée Grévin et admiré ses reconstitutions historiques comme "le Radeau de la Méduse" ? Il a d'ailleurs ses ancêtres ; voici, avec la sienne, leur histoire.
Ce que nous appelons musées de cire et dont le musée Grévin est le parisien exemple, fut d'abord désigné : Cabinets de cire... La vogue de ces spectacles hors série date de 1779, époque à laquelle un Allemand, Curx, - qui avait pour pseudonyme Curtius - en installa deux à Paris : le principal au Palais-Royal, l'autre boulevard du Temple où son succès égala longtemps celui du théâtre de Nicolet, lequel continuait à présenter "de plus en plus fort".
Mais l'origine de ces figures de cire est beaucoup plus lointaine. La céréoplastique - art de modeler la cire - remonte à la plus haute antiquité. Les Egyptiens et les Perses se servaient de la cire pour embaumer les cadavres, ce qui les amena tout naturellement à façonner des figures.
La preuve nous en est donnée par la Xe ode d'Anacréon (poète grec né en 560 avant J.-C.), dans laquelle il s'adresse à un "Amour de cire". D'autre part, lors des fêtes d'Adonis célébrées en avril ou mai, les petits jardins qui, selon la coutume, étaient disposés dans chaque maison étaient souvent composés de fleurs et de couronnes en cire, car la nature est peu prodigue en ce début de saison.
Ensuite, si l'on se rapporte à Pline l'Ancien, vint l'ère des portraits. Ce fut, nous dit-il, Lysistrata de Sicyone qui en eut la première l'idée.
La céréoplastique fut aussi très prisée à Rome. Les familles nobles conservaient les bustes en cire de leurs ancêtres. Quant à Héliogabale, il fut, peut-être le précurseur de ces humoristes qui, dans nos musées modernes, placent des personnages - attrape que l'on confond avec un gardien ou un promeneur : en effet, ne s'amusait-il pas à faire servir, moulés en cire, tous les mets qu'il présentait ensuite, mystifiant ainsi ses convives ?
Le moyen âge vit l'apparition des statues à tête de cire, mais cette matière était surtout employée pour les maléfices : il s'agissait, on le sait, de figurines reproduisant les silhouettes des ennemis que l'on transperçait d'épingles ou de petites flèches.
Mais l'idée des figures de cire naquit véritablement au XVe siècle, lorsqu'un Italien, Andrea del Verrocchio, tenta d'imiter en cire le corps et le visage des personnes mortes ou vivantes.
Au XVIe siècle, un autre Italien, le sculpteur Ludovicio Civoli, fit des modèles à l'usage des élèves en chirurgie. Cette utilisation dans une vue anatomique trouva son perfectionnement en 1701, l'abbé Gaetano Guilo de Syracuse ayant apporté à l'Académie des sciences de Paris une tête imitant si fidèlement la réalité qu'elle autorisa des démonstrations impossibles jusque-là.
Plus près de nous - et encore ! - la soeur de Mme de Montespan, Mlle de Thianges, avait donné au duc du Maine, alors âgé de cinq ans, une chambre toute meublée et occupée par des personnages de cire. Cependant, Curtius, dont nous avons parlé au début de cet article, fut le premier à comprendre la valeur spectaculaire des figures de cire.
Tout d'abord, nous dit Paul Gilson dans son curieux ouvrage le Merveilleux, " les premières oeuvres qu'exposa Curtius au musée du Palais-Royal étaient des miniatures en cire colorées, modelées en relief, vernissées comme des tableaux". Ensuite, il présenta des personnages grandeur nature... et chacun put admirer "la Famille royale dînant"... Enfin, les salons du Palais-Royal furent consacrés aux grands hommes, ceux du faubourg du Temple, dit boulevard du Crime, aux bandits de tous genres, et cette "caverne des grands voleurs" fit passer bien des frissons dans le dos des belles de l'époque.
Curtius avait une nièce, Marie Grosholtz, qui, initiée aux secrets du modelage, devait prolonger jusqu'à nos jours l'enchantement des cabinets de cire.
En effet, Marie Grosholtz épousa M. Tussaud (Tussaud, on le sait, équivaut en Angleterre à Grévin). Passionnante histoire que celle de Mme Tussaud. Tout d'abord, lorsque son oncle l'amena à Paris, Elisabeth de France la fit appeler et lui demanda des leçons de modelage, puis la Révolution éclata. Alors, commença pour elle le plus hallucinant travail : se tenant auprès de Sanson et de sa guillotine, elle prit les empreintes de toutes les têtes illustres qui tombaient afin d'en enrichir le musée.
Devenue suspecte à son tour, elle connut la prison et en sortit pour apprendre la mort de son oncle Curtius. Ayant épousé Tussaud, elle emmena tout son matériel, ses moules, ses personnages, à Londres. A l'origine, le premier cabinet de cire anglais allait d'une ville à l'autre, mais il s'installa définitivement à Baker Street, où il est encore, et où Mme Tussaud mourut en 1830, à l'âge de quatre-vingt-dix ans. (Son corps et sa tête ayant été moulés, elle reçoit les visiteurs dans une chambre de son célèbre musée.)
En France, après Curtius, fut fondé, en 1865, dans la salle Beethoven, sise passage de l'Opéra, le musée Hartkoff. C'était un musée géologique, ethnologique et anatomique : on pouvait y voir plusieurs masques de cire de personnages historiques moulés par le professeur Schwarz, célèbre phrénologue de Stockholm. Seuls, les hommes étaient admis à visiter ce musée. Même réserve était faite dans le musée du baron Guillaume Dupuytren, célèbre chirurgien dont les collections évoquent plus ou moins ce qui était présenté. Le véritable et premier musée Dupuytren était situé dans l'ancien bâtiment des Cordeliers, rue de l'Ecole-de-Médecine, et c'était en quelque sorte une annexe de la chaire d'anatomie pathologique.
Puisque nous sommes à Paris, venons-en au musée Grévin, créé en 1882 par Alfred Grévin, le dessinateur du Journal amusant, du Petit Journal pour rire, qui créa, avec Alfred Huart, l'Almanach des Parisiennes, et dont les légendes humoristiques doublaient les croquis d'une irrésistible drôlerie. Ayant compris combien l'illustration ajoutait à la popularité des journaux, il voulut, avec le musée, créer une sorte de journal plastique.
L'ambition de son successeur, M. Maurice Thomas, également administrateur de la tour Eiffel, diffère sensiblement ; l'actualité immédiate ne le retient pas autant ; certes, la suite apporte un regain d'attention aux tableaux de Grévin, mais le public se passionne surtout pour les reconstitutions historiques. Ce musée, proche parent de celui de Tussaud, en diffère sensiblement par l'esprit qui l'anime ; alors qu'en Angleterre, on s'attache presque uniquement aux mannequins, ici, il s'agit tout autant de reconstituer une scène avec décor, le plus souvent possible avec des objets historiques ayant appartenu aux hommes et aux femmes figés dans leurs cadres. Ainsi, la baignoire qui figure au tableau reconstituant la Mort de Marat est celle où il fut assassiné, et les accessoires, carte de France de 1791, numéros de l'Ami du Peuple, pique, couteau, sont d'époque. D'autre part, les costumes sont d'époque. D'autre part, les costumes sont le plus souvent ceux que portèrent les sujets.
Comment sont faits ces personnages dont la vie semble attendre un signal pour ranimer les mouvements ? A l'inverse du tailleur qui coupe son costume d'après son client, ici, le "client" est fait d'après le costume, et c'est pourquoi celui-ci doit avoir été porté, car un costume porté est un costume vivant ; l'observateur y retrouve les principales caractéristiques de celui qui l'a mis et pour le sculpteur, c'est là une aide précieuse.
Un personnage de cire n'est pas entièrement en cire, seul ce qui se voit : sa tête, ses mains, son décolleté, sont composés d'un produit où entrent de la cire, de la stéarine et de la paraffine. Le reste, caché par les vêtements, est fait soit en staff si le sujet doit demeurer longtemps, soit, si sa présence est rattachée à une actualité éphémère, en carton-pâte.
Comment procède-t-on pour reconstituer un visage ? Naturellement, le mieux est que le personnage pose pour le sculpteur, mais la chose n'est pas toujours possible, non seulement pour les morts, mais aussi pour les vivants qui n'ont pas le temps ou ne le veulent pas. Dans ce cas, on fait appel à des photos, à des croquis, voire à des notes.
La première opération est celle de tout sculpteur : modeler un bloc de glaise et, lorsque la tête est reproduite, ou plutôt sa forme, car aucun système pileux ne l'agrémente encore, on y plaque un moule de plâtre chaud qui, une fois rafraîchi, est détaché en plusieurs parties puis reconstitué et enfin rempli de cire fondante. Après séchage et démontage, on creuse l'intérieur, le sculpteur passe sa main par le cou et alors commence la délicate pose des yeux. Ce sont des yeux de verre analogues à ceux employés par les oculistes. Là, il convient d'agir avec une attention extrême car le regard, c'est tout le visage et un millimètre peut en varier l'expression : l'oeil du personnage de cire, c'est, en quelque sorte ce qui l'humanise.
Après l'oeil, viennent les cheveux. Avec une aiguille sans chas, on les implante un à un et la spécialiste de ce travail peut dire aux amateurs de statistiques qu'un homme n'a que 300.000 cheveux à opposer aux 500.000 d'une femme.
Puis le visage est maquillé, un maquillage spécial naturellement (celui des stars, voire des belles du jour, ne conviendrait pas à la cire). C'est en deux temps que s'effectue celui-ci : à la lumière du jour, d'abord, puis à celle du décor suivant les ombres et les lumières dispensées par un électricien spécial.
La tête rejoint enfin le corps et la pose des jambes, des bras où l'on visse les mains constitue l'avant-dernière opération. Signalons en passant que les mains sont presque toujours moulées sur des mains réelles.
Enfin, on habille le personnage et le miracle est fait.
Quel spectacle, cette promenade dans le temps au musée Grévin où, avec un anachronisme qui rappelle que son fondateur était un humoriste, on quitte les Fratellini et les personnages de la comédie italienne pour entrer en pleine Révolution, côtoyer Jeanne d'Arc, assister à des scènes de la vie de Jésus-Christ, et se trouver "l'invité-surpris" d'une soirée à la Malmaison, avant que de franchir le seuil du cabinet fantastique, de pénétrer dans l'enchanteur palais des mirages où, depuis 1907, les merveilles de la lumière sous toutes ses formes - la noire amène d'irrésistibles effets - se mêlent aux merveilles de l'illusion !
Ce que nous appelons musées de cire et dont le musée Grévin est le parisien exemple, fut d'abord désigné : Cabinets de cire... La vogue de ces spectacles hors série date de 1779, époque à laquelle un Allemand, Curx, - qui avait pour pseudonyme Curtius - en installa deux à Paris : le principal au Palais-Royal, l'autre boulevard du Temple où son succès égala longtemps celui du théâtre de Nicolet, lequel continuait à présenter "de plus en plus fort".
Mais l'origine de ces figures de cire est beaucoup plus lointaine. La céréoplastique - art de modeler la cire - remonte à la plus haute antiquité. Les Egyptiens et les Perses se servaient de la cire pour embaumer les cadavres, ce qui les amena tout naturellement à façonner des figures.
La preuve nous en est donnée par la Xe ode d'Anacréon (poète grec né en 560 avant J.-C.), dans laquelle il s'adresse à un "Amour de cire". D'autre part, lors des fêtes d'Adonis célébrées en avril ou mai, les petits jardins qui, selon la coutume, étaient disposés dans chaque maison étaient souvent composés de fleurs et de couronnes en cire, car la nature est peu prodigue en ce début de saison.
Ensuite, si l'on se rapporte à Pline l'Ancien, vint l'ère des portraits. Ce fut, nous dit-il, Lysistrata de Sicyone qui en eut la première l'idée.
La céréoplastique fut aussi très prisée à Rome. Les familles nobles conservaient les bustes en cire de leurs ancêtres. Quant à Héliogabale, il fut, peut-être le précurseur de ces humoristes qui, dans nos musées modernes, placent des personnages - attrape que l'on confond avec un gardien ou un promeneur : en effet, ne s'amusait-il pas à faire servir, moulés en cire, tous les mets qu'il présentait ensuite, mystifiant ainsi ses convives ?
Le moyen âge vit l'apparition des statues à tête de cire, mais cette matière était surtout employée pour les maléfices : il s'agissait, on le sait, de figurines reproduisant les silhouettes des ennemis que l'on transperçait d'épingles ou de petites flèches.
Mais l'idée des figures de cire naquit véritablement au XVe siècle, lorsqu'un Italien, Andrea del Verrocchio, tenta d'imiter en cire le corps et le visage des personnes mortes ou vivantes.
Au XVIe siècle, un autre Italien, le sculpteur Ludovicio Civoli, fit des modèles à l'usage des élèves en chirurgie. Cette utilisation dans une vue anatomique trouva son perfectionnement en 1701, l'abbé Gaetano Guilo de Syracuse ayant apporté à l'Académie des sciences de Paris une tête imitant si fidèlement la réalité qu'elle autorisa des démonstrations impossibles jusque-là.
Plus près de nous - et encore ! - la soeur de Mme de Montespan, Mlle de Thianges, avait donné au duc du Maine, alors âgé de cinq ans, une chambre toute meublée et occupée par des personnages de cire. Cependant, Curtius, dont nous avons parlé au début de cet article, fut le premier à comprendre la valeur spectaculaire des figures de cire.
Tout d'abord, nous dit Paul Gilson dans son curieux ouvrage le Merveilleux, " les premières oeuvres qu'exposa Curtius au musée du Palais-Royal étaient des miniatures en cire colorées, modelées en relief, vernissées comme des tableaux". Ensuite, il présenta des personnages grandeur nature... et chacun put admirer "la Famille royale dînant"... Enfin, les salons du Palais-Royal furent consacrés aux grands hommes, ceux du faubourg du Temple, dit boulevard du Crime, aux bandits de tous genres, et cette "caverne des grands voleurs" fit passer bien des frissons dans le dos des belles de l'époque.
Curtius avait une nièce, Marie Grosholtz, qui, initiée aux secrets du modelage, devait prolonger jusqu'à nos jours l'enchantement des cabinets de cire.
En effet, Marie Grosholtz épousa M. Tussaud (Tussaud, on le sait, équivaut en Angleterre à Grévin). Passionnante histoire que celle de Mme Tussaud. Tout d'abord, lorsque son oncle l'amena à Paris, Elisabeth de France la fit appeler et lui demanda des leçons de modelage, puis la Révolution éclata. Alors, commença pour elle le plus hallucinant travail : se tenant auprès de Sanson et de sa guillotine, elle prit les empreintes de toutes les têtes illustres qui tombaient afin d'en enrichir le musée.
Devenue suspecte à son tour, elle connut la prison et en sortit pour apprendre la mort de son oncle Curtius. Ayant épousé Tussaud, elle emmena tout son matériel, ses moules, ses personnages, à Londres. A l'origine, le premier cabinet de cire anglais allait d'une ville à l'autre, mais il s'installa définitivement à Baker Street, où il est encore, et où Mme Tussaud mourut en 1830, à l'âge de quatre-vingt-dix ans. (Son corps et sa tête ayant été moulés, elle reçoit les visiteurs dans une chambre de son célèbre musée.)
En France, après Curtius, fut fondé, en 1865, dans la salle Beethoven, sise passage de l'Opéra, le musée Hartkoff. C'était un musée géologique, ethnologique et anatomique : on pouvait y voir plusieurs masques de cire de personnages historiques moulés par le professeur Schwarz, célèbre phrénologue de Stockholm. Seuls, les hommes étaient admis à visiter ce musée. Même réserve était faite dans le musée du baron Guillaume Dupuytren, célèbre chirurgien dont les collections évoquent plus ou moins ce qui était présenté. Le véritable et premier musée Dupuytren était situé dans l'ancien bâtiment des Cordeliers, rue de l'Ecole-de-Médecine, et c'était en quelque sorte une annexe de la chaire d'anatomie pathologique.
Puisque nous sommes à Paris, venons-en au musée Grévin, créé en 1882 par Alfred Grévin, le dessinateur du Journal amusant, du Petit Journal pour rire, qui créa, avec Alfred Huart, l'Almanach des Parisiennes, et dont les légendes humoristiques doublaient les croquis d'une irrésistible drôlerie. Ayant compris combien l'illustration ajoutait à la popularité des journaux, il voulut, avec le musée, créer une sorte de journal plastique.
L'ambition de son successeur, M. Maurice Thomas, également administrateur de la tour Eiffel, diffère sensiblement ; l'actualité immédiate ne le retient pas autant ; certes, la suite apporte un regain d'attention aux tableaux de Grévin, mais le public se passionne surtout pour les reconstitutions historiques. Ce musée, proche parent de celui de Tussaud, en diffère sensiblement par l'esprit qui l'anime ; alors qu'en Angleterre, on s'attache presque uniquement aux mannequins, ici, il s'agit tout autant de reconstituer une scène avec décor, le plus souvent possible avec des objets historiques ayant appartenu aux hommes et aux femmes figés dans leurs cadres. Ainsi, la baignoire qui figure au tableau reconstituant la Mort de Marat est celle où il fut assassiné, et les accessoires, carte de France de 1791, numéros de l'Ami du Peuple, pique, couteau, sont d'époque. D'autre part, les costumes sont d'époque. D'autre part, les costumes sont le plus souvent ceux que portèrent les sujets.
Comment sont faits ces personnages dont la vie semble attendre un signal pour ranimer les mouvements ? A l'inverse du tailleur qui coupe son costume d'après son client, ici, le "client" est fait d'après le costume, et c'est pourquoi celui-ci doit avoir été porté, car un costume porté est un costume vivant ; l'observateur y retrouve les principales caractéristiques de celui qui l'a mis et pour le sculpteur, c'est là une aide précieuse.
Un personnage de cire n'est pas entièrement en cire, seul ce qui se voit : sa tête, ses mains, son décolleté, sont composés d'un produit où entrent de la cire, de la stéarine et de la paraffine. Le reste, caché par les vêtements, est fait soit en staff si le sujet doit demeurer longtemps, soit, si sa présence est rattachée à une actualité éphémère, en carton-pâte.
Comment procède-t-on pour reconstituer un visage ? Naturellement, le mieux est que le personnage pose pour le sculpteur, mais la chose n'est pas toujours possible, non seulement pour les morts, mais aussi pour les vivants qui n'ont pas le temps ou ne le veulent pas. Dans ce cas, on fait appel à des photos, à des croquis, voire à des notes.
La première opération est celle de tout sculpteur : modeler un bloc de glaise et, lorsque la tête est reproduite, ou plutôt sa forme, car aucun système pileux ne l'agrémente encore, on y plaque un moule de plâtre chaud qui, une fois rafraîchi, est détaché en plusieurs parties puis reconstitué et enfin rempli de cire fondante. Après séchage et démontage, on creuse l'intérieur, le sculpteur passe sa main par le cou et alors commence la délicate pose des yeux. Ce sont des yeux de verre analogues à ceux employés par les oculistes. Là, il convient d'agir avec une attention extrême car le regard, c'est tout le visage et un millimètre peut en varier l'expression : l'oeil du personnage de cire, c'est, en quelque sorte ce qui l'humanise.
Après l'oeil, viennent les cheveux. Avec une aiguille sans chas, on les implante un à un et la spécialiste de ce travail peut dire aux amateurs de statistiques qu'un homme n'a que 300.000 cheveux à opposer aux 500.000 d'une femme.
Puis le visage est maquillé, un maquillage spécial naturellement (celui des stars, voire des belles du jour, ne conviendrait pas à la cire). C'est en deux temps que s'effectue celui-ci : à la lumière du jour, d'abord, puis à celle du décor suivant les ombres et les lumières dispensées par un électricien spécial.
La tête rejoint enfin le corps et la pose des jambes, des bras où l'on visse les mains constitue l'avant-dernière opération. Signalons en passant que les mains sont presque toujours moulées sur des mains réelles.
Enfin, on habille le personnage et le miracle est fait.
Quel spectacle, cette promenade dans le temps au musée Grévin où, avec un anachronisme qui rappelle que son fondateur était un humoriste, on quitte les Fratellini et les personnages de la comédie italienne pour entrer en pleine Révolution, côtoyer Jeanne d'Arc, assister à des scènes de la vie de Jésus-Christ, et se trouver "l'invité-surpris" d'une soirée à la Malmaison, avant que de franchir le seuil du cabinet fantastique, de pénétrer dans l'enchanteur palais des mirages où, depuis 1907, les merveilles de la lumière sous toutes ses formes - la noire amène d'irrésistibles effets - se mêlent aux merveilles de l'illusion !